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Interviews

La bibliothèque romantique d'Yslaire

Publié le 17/02/2021

Alors que le journal Spirou célèbre l'amour en cette semaine de Saint-Valentin, nous sommes allés rendre visite à Bernard Yslaire. L'auteur du plus mythique des couples de SpirouBidouille et Violette – est un grand amoureux… des livres ! Visite romantique de sa bibliothèque.

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La bibliothèque romantique d'Yslaire
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Tu as beaucoup de livres ?

J'ai plusieurs bibliothèques. Je ne sais plus où les mettre. Je connais bien mes livres. Non seulement je lis beaucoup, mais je relis. J'ai une manière de lire tout à fait boulimique, mais pas traditionnelle. Je commence parfois par la fin ou le milieu, je lis plusieurs livres en même temps, parfois j'arrête et quand j'aime beaucoup, je lis plusieurs fois.

Quels sont tes premiers grands souvenirs de lecteur ?

À 7-8 ans je lisais au minimum un livre par jour, je passais mes vacances à ça. C'étaient des bouquins conséquents comme Le bossu de Paul Féval, de la littérature du XIXe, Les misérables, Les trois mousquetaires, et Shakespeare. J'allais voir les pièces et j'avais envie ensuite de relire les dialogues. Mon père était un grand lecteur, il était journaliste et avait une grande bibliothèque, j'ai eu de la chance de pouvoir lire tous les grands écrivains.

C'est à l'adolescence que tu as lu plus de littérature romantique ?

J'adorais la poésie, je continue à penser que c'est le sommet de la littérature. C'est l'art d'écrire purement esthétique, sans besoin de raconter une histoire. J'ai adoré la poésie romantique. Baudelaire m'a enthousiasmé, ça reste une référence importante dans tout ce que j'ai fait. En ce moment je fais justement une biographie de Baudelaire, j'ai relu récemment beaucoup de son œuvre et de ce qui a été écrit sur lui. Dans les poètes du XXe, il y a eu aussi Prévert.

Extrait des Cahiers Baudelaire

Et la BD ?

Je lisais beaucoup de BD. C'était facile à l'époque, on pouvait lire tout ce qui paraissait. J'ai suivi tous les courants. Ma tante était secrétaire au journal Tintin donc j'étais abonné. À 13 ans j'ai connu Jean Marie Brouyère qui travaillait à Spirou et qui m'a fait connaître le journal. Plus tard, Tardi m'a beaucoup intéressé, mais aussi Pratt, Moebius, les grands noms de l'époque.

Quand tu as fait Bidouille et Violette, la BD jeunesse ne parlait pas d'amour. Qu'est-ce qui t'a amené à parler d'amour dans Spirou ?

Parce que j'étais amoureux ! J'étais un peu comme Bidouille, même si c'est mon opposé physiquement ! J'étais amoureux d'une fille, mais incapable de lui dire un mot ! J'en ai fait un scénario. Je ne pensais pas que c'était publiable. Charles Dupuis trouvait ça trop d'avant-garde, les couples dans Spirou c'était Spirou et Fantasio et Tif et Tondu ! Je trouvais que c'était intéressant de faire quelque chose qui n'existait pas. Les enfants ne comprenaient pas ce que Bidouille et Violette faisaient sur leurs bancs, les adultes attendaient qu'ils montent dans la chambre ! Aujourd'hui ça paraît gentil. J'ai toujours des lecteurs qui le découvrent et qui m'écrivent.

Est-ce qu'il y a beaucoup de tes lectures dans Bidouille et Violette ?

En réalité plutôt la musique, il y avait dans les années 1970 une écriture assez proche entre BD et musique, une volonté de raconter les choses différemment. Renaud et Souchon m'ont inspiré pour Bidouille et Violette… L'écriture poétique me permettait de parler d'amour sans parler de sexe, comme le faisait la BD adulte de l'époque. J'essayais d'éviter le côté mièvre par le côté poétique. Le personnage de Violette reste un de mes personnages fétiches, je pourrais encore la dessiner comme au premier jour. C'est une vraie nana. Elle n'est pas bimbo, elle a un caractère étrange.

Tu as envisagé de reprendre Bidouille et Violette ?

Plusieurs fois. La suite était prévue. Le quatrième album est paru quelques mois avant le premier Sambre qui a été un succès tel que ça a occulté le reste. Et puis Spirou était peu enthousiaste pour continuer. Ensuite, je suis arrivé à un moment où je n'avais plus l'âge de le faire, parce que je vais manquer de fraîcheur. J'ai toujours essayé d'être sincère et de faire des BD qui me ressemblaient. J'ai commencé il n'y a pas longtemps un scénario sur les enfants de Bidouille et Violette. II y a peut-être quelque chose à raconter, mais c'est peut-être aussi la fausse bonne idée. Dernièrement un lecteur m'a envoyé un scénario de la suite en me demandant si je voulais le dessiner ! Il était tellement timide qu'il ne m'a pas laissé son nom ni son adresse !    

Tu as ouvert des portes avec Bidouille et Violette ?
 
Des gens me l'ont dit, ça m'a fait plaisir. Julien Neel, l'auteur de Lou m'a dit que ça l'avait marqué. Moi, j'avais l'impression que ça ne marchait pas.

Bidouille et Violette

C'est plus facile aujourd'hui de parler d'amour en BD ?

Oui, même s'il va y avoir un retour de la censure. Les années 1960, c'est pas de sexe, en 1970 c'est l'explosion de la BD adulte. Aujourd'hui, on nous demande de rhabiller les personnages. On sent un retour de l'ordre moral qui m'inquiète beaucoup.

Sambre est plus d'inspiration littéraire.

Avec Sambre j'avais envie de raconter des histoires d'amour parce que c'était le centre de ma vie. J'avais des limites avec Bidouille et Violette. Je ne pouvais pas les faire vieillir, c'est ce qui m'a poussé à m'engager dans ce projet, plus riche graphiquement. Je me suis raccroché aux grands classiques du XIXe que j'avais lus enfant dans la grande bibliothèque de mon père, j'avais envie de faire ça en BD : L'éducation sentimentale, Les hauts de Hurlevent, Lamartine, Baudelaire et surtout Shakespeare. Shakespeare, c'est un choc pour moi. Mon père qui était critique de théâtre m'emmenait voir les pièces enfant, et je suis passé d'un coup de Tintin à Othello ! Il y a eu Cyrano aussi, Roméo et Juliette. Sambre est né de tout ça, de l'envie de faire du théâtre en BD.
 
Quels sont tes BD de chevet ?

Les yeux du chat de Moebius est un sommet, un grand livre. Il y a Polonius, de Tardi, qui donne envie de rêver. Récemment j'ai lu Monsieur Désire, qui est formidable. Hubert est un scénariste que j'adorais, j'aurais aimé le connaître mieux. Je lis toujours beaucoup de BD, il y a tellement de choses bien. On vit une formidable époque.

Les enfants de Bidouille et Violette, une planche réalisée en 2011 pour la Galerie des Illustres dans Spirou
Les enfants de Bidouille et Violette, une planche réalisée en 2011 pour la Galerie des Illustres dans Spirou

 

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