Premières aventures de Lucky Luke : APPOLLO ET BRÜNO rendent hommage à Morris

Différence : Luke plus jeune au Dakota qu’en Arizona !

Appollo : « Dakota 1880″ raconte le Lucky Luke d’avant Arizona 1880, premier album de Morris paru en 1946. Notre jeune cow-boy escorte alors une diligence sur une nouvelle route entre l’Est et l’Ouest des États-Unis. Il croisera de nombreux personnages inattendus, dont Baldwin, jeune écrivain qui narrera ses aventures dans des dime novel, ces romans populaires de la fin du XIXe siècle qui transformèrent en mythes de l’Ouest de simples garçons vachers. Qui sait si Morris et Goscinny n’inventèrent pas Lucky Luke en s’inspirant des récits de Baldwin ? Au départ, notre variation autour de Lucky Luke devait se réduire à une seule histoire prévue pour Spirou. Mais on nous en a finalement demandé tout un album ! Brüno et moi sommes restés sur une rythmique narrative d’histoires courtes. Déjà parce que ce format a tendance à se raréfier avec la disparition de la presse, ensuite parce que ça rendait hommage à l’album « 7 histoires de Lucky Luke », que j’adore. Mais si on me demande, mon Lucky Luke préféré reste toutefois « Les rivaux de Painful Gulch » !

Point commun : des histoires nourries à l’Histoire

Appollo : Morris et Goscinny, qui ont vécu aux États-Unis, en connaissaient parfaitement l’histoire. C’est pourquoi ils ont utilisé tant de personnages historiques, que ce soit Roy Bean ou Calamity Jane. Ils jouaient avec les codes du western de leur époque, ce qui impliquait des héros généralement blancs et masculins. De nos jours, on parle plus facilement des Noirs, des migrants et des femmes qui ont participé à la conquête de l’Ouest. Le narrateur de « Dakota 1880 », Baldwin, un jeune créole louisianais, va injecter l’histoire afro-américaine dans la mythologie de l’Ouest. Réunionnais, je m’intéresse depuis de nombreux albums à ces thématiques. On croisera aussi d’authentiques personnages historiques dans « Dakota 1880 », comme un certain Louis Riel.

Différence : Ni vilains Dalton ni Jolly Jumper !

Appollo : Puisque notre Luke est un tout jeune homme, il n’a pas encore rencontré Jolly Jumper ni les Dalton. Enfant, ces personnages m’ont tellement fait rire ! Mais ne pas les utiliser permettait de donner un côté réaliste et dramatique à nos histoires. Luke sera par exemple pendu ! Ce qui lui offrira son surnom de « Lucky »… Un épisode qu’il aurait été difficile de rendre crédible avec un cheval qui parle ! Morris et Goscinny avaient toujours le souci de mettre en place une aventure en plus du burlesque. Brüno et moi avons enlevé le burlesque mais gardé l’aventure. Mais, comme j’adore les personnages d' »imbéciles », tel Averell, je n’ai pas résisté à l’envie de mettre des clins d’œil humoristiques un peu partout. C’est ainsi que le cocher de la diligence qu’escorte Luke s’appelle « Hank Bully » comme dans « La diligence ». C’est aussi pourquoi j’ai écrit cette histoire improbable où deux poètes ennemis vont passer leur temps à se castagner !

Brüno : Les Dalton ou Jolly Jumper fonctionnent bien dans un registre comique. Mais, dans des récits plus réalistes, nous les aurions forcément affadis. Lucky Luke, lui, passe bien d’un style à l’autre, car il est nonchalant, presque mélancolique. Luke ne fait pas partie de ces héros qui veulent changer le monde. Il ne va jamais vers l’aventure. Généralement, on vient le chercher pour une mission alors que lui pêche tranquillement ou joue aux échecs avec Jolly Jumper ! Et s’il passe par un patelin où on lui demande son aide, il ne la refuse pas.

Point commun : Du western mythique

Brüno : Le western est un genre cinématographique particulier. Comme une sorte de tragédie hors sol, déconnectée de la réalité historique. La preuve, c’est que quand on voit une moto dans un western, on est surpris alors que pourtant c’est historiquement possible ! Comme Morris, j’ai traité « Dakota 1880 » comme un western plus que comme un récit historique. Pour ma documentation, j’ai surtout vu et revu plein de westerns classiques de l’âge d’or d’Hollywood, donc entre le début des années 50 et celui des années 60. Nos histoires sont truffées de références. Dans « Plus vite que son ombre », le duel se passe à Cross Creek, avec un méchant nommé Vinnie Harold, comme dans le film « La première balle tue » (1956) avec Glenn Ford. Plutôt que de travailler de manière naturaliste et historique, je fais en sorte que mon dessin serve au mieux la narration.

Différence : Un petit pas « prattien »

Brüno : À la base, Appollo et moi ne sommes pas forcément clients des reprises de personnages. Mais Lucky Luke, c’est Lucky Luke ! Je n’ai pas ressenti d’inquiétude à l’idée de passer après Morris. Nos styles respectifs sont certes très synthétiques, mais aussi très différents, donc aucune chance que l’on s’amuse à nous comparer. Et puis, au départ, je ne devais reprendre Lucky Luke que dans le cadre d’une seule histoire courte ! Graphiquement, Luke m’est venu assez facilement, même si j’ai un peu galéré avec les chevaux, les chapeaux et les pistolets, que je n’avais pas trop dessinés jusqu’à présent. La vraie grosse difficulté dans « Dakota 1880 », c’est qu’on nous a demandé que Luke ne fume pas et ne tue personne ! Après la première histoire, « Le maître d’école », Appollo et moi sommes donc passés à une vision plus contemplative de ses aventures, quelque chose à la Hugo Pratt !

Appollo : Lucky Luke est un personnage d’action, mais avec toujours une petite distance face aux événements, ce qui lui donne un côté ironique et taiseux, que nous avons essayé de garder. Comme Goscinny et Morris, nous avons également un peu malmené son côté héroïque. La première de nos histoires courtes va ainsi le présenter le nez dans la neige après un passage à tabac. Un peu comme Corto Maltese, dont la première apparition dans « La ballade de la mer salée » le montrait ligoté sur un radeau, abandonné au milieu de l’océan…

Différence : Une grammaire voyageuse

Brüno : Ce qui est fascinant dans les Lucky Luke de Morris et Goscinny, c’est la grammaire graphique utilisée. Dans chaque album, ce sont les mêmes cactus, les mêmes maisons, le même croque-mort, mais agencés de manière différente. Ce minimalisme de la série est fascinant. Astérix, dont chaque album change d’environnement avec des récits dans le village puis à l’étranger, est plus bigarré. « Dakota 1880 », qui fonctionne comme un road-movie, va changer de région et de saison à chaque histoire, ce qui a donc impliqué une grammaire graphique assez fournie.

Différence mais un peu point commun quand même : Les couleurs

Brüno : Les couleurs de « Dakota 1880 » ont été réalisées par Laurence Croix, avec laquelle je collabore sur tous mes albums. Comme pour le dessin, nous avons plus travaillé sur les ambiances que sur le naturalisme, ce qui est un point commun entre le style de Morris et le mien. Les choix très radicaux de Morris, en termes de couleur, ont créé une expression dans le jargon que Laurence et moi utilisons. Nous parlons « d’effet Lucky Luke » lorsque nous utilisons un aplat de couleurs brutes, comme dans la dernière case de la deuxième page du « Maître d’école ». J’ai également utilisé cet « effet Lucky Luke » dans une page reprenant les célèbres positions de tir de Lucky Luke dans ses pages de garde. Laurence avait proposé des couleurs plus naturalistes, mais j’avais envie de pages très « Lucky Luke », où l’on sentirait bien que l’on a affaire au cow-boy qui tire plus vite que son ombre !