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Spirou et moi : Comment SPIROU a empêché les membres de Justice de dormir…
Publié le 18/06/2025

Ils sont le duo star de l’électro française. Ils font danser la planète entière avec leur musique. Et tous deux lisaient SPIROU, enfants ! Gaspard Augé et Xavier de Rosnay, les stars de Justice, nous parlent de leurs souvenirs… et des traumas dus à la lecture d’une certaine série du journal.
Alors, comme ça, Spirou vous a fait passer des nuits blanches ?
Xavier de Rosnay : Gaspard et moi lisions tous les deux SPIROU, enfants. Un jour, nous avons découvert qu’une même histoire nous avait traumatisés ! Je ne me souviens plus du titre. Juste qu’il était question d’un petit garçon et de son « avion jouet ». L’avion, un jour, se mettait à assassiner les membres de la famille. Ce qui n’empêchait pas l’enfant d’être obsédé par ce jouet maléfique !

Gaspard Augé : Depuis, j’ai retrouvé le titre de cette histoire ! C’était « Jouet d’enfer » [le premier tome de la série Charly]. Je lisais SPIROU grâce à mon grand-père, qui m’avait abonné. Il appelait ça « un illustré », ça me faisait beaucoup rire. Xavier m’a récemment abonné à un magazine de cinéma pour mon anniversaire. Ça m’a rappelé cette fébrilité que j’avais en allant ouvrir la boîte aux lettres, espérant y trouver mon SPIROU. Je dois encore avoir mes vieux numéros dans un garde-meubles. Comme j’ai été abonné longtemps, ça doit faire une grosse pile…
Xavier de Rosnay : Je trouve ça cool, d’être abonné, c’est un rituel vraiment agréable. Mais moi, ma mère avait refusé ! Elle devait trouver SPIROU trop subversif [rires]. J’avais juste le droit d’aller le chercher de temps en temps au kiosque à journaux. C’était une sorte de petite récompense. À l’époque, le journal prépubliait « La vallée des bannis », une aventure de Spirou et Fantasio de Tome et Janry. Ça me fascinait de voir que Spirou, après Franquin, pouvait être dessiné par d’autres auteurs.

Gaspard Augé : SPIROU, quand on était enfants, représentait une forme de bande dessinée politiquement correcte, qui rassurait nos parents. Mon père, qui avait lu Gaston Lagaffe, se disait que SPIROU, c’était pas Fluide Glacial. J’ai des souvenirs de lecture des Femmes en blanc, de L’agent 212, de Soda… SPIROU, stylistiquement, c’était très franco-belge, sous l’influence de Franquin. Le dessin de pas mal de BD d’aujourd’hui montre qu’entre-temps il y a eu un gros trauma manga !
Xavier de Rosnay : On adorait également Le Petit Spirou, presque une version soft du Pervers pépère de Fluide glacial ! En tant qu’écolier, c’était facile de s’identifier aux personnages. J’ai même eu un prof de gym qui ressemblait à Monsieur Mégot ! Tout ce qu’on absorbe jusqu’à l’âge de 9 ou 10 ans laisse une empreinte, consciente ou non. Je ne pense pas qu’on mène nos vies actuelles sous l’influence de L’agent 212, ni de quelque autre héros que ce soit, mais quelques vannes du Petit Spirou existent peut-être encore dans certains de nos comportements…
Vous avez tous les deux une formation de graphistes. La BD ne vous a jamais tentés ?
Xavier de Rosnay : Jeune, je voulais être Blutch ! Mais je trouve qu’il y a un écart énorme entre graphisme et dessin. On peut être un excellent graphiste mais un très mauvais dessinateur. Gaspard dessine bien mieux que moi. Jusqu’en 2003, on a cru qu’on allait être graphistes tous les deux. Puis, on a fait un morceau, on a rencontré Pedro Winter, le boss du label Ed Banger, et nos vies se sont transformées de manière accidentelle.

Si on vous proposait de faire un remix dessiné de Spirou, ça donnerait quoi ?
Gaspard Augé : Notre Spirou serait probablement au chômage, car ça n’existe plus, les grooms. Ou alors on partirait sur un Spirou super-héros, à l’américaine, genre musculeux, avec son tout petit chapeau de groom sur la tête. Quoi qu’il en soit, il faudrait prendre le contre-pied du personnage actuel, faire un anti-héros total et pas aimable.
Xavier de Rosnay : Moi, je verrais bien un Spirou à la Cowboy Henk ! Mais le truc logique serait effectivement de faire un Spirou dark et réaliste. Il travaillerait toujours dans un hôtel mais ne serait plus groom, plutôt réceptionniste. Un peu dépressif, il détesterait son travail. Une insatisfaction très « 2025 », quoi ! On confierait le dessin à Lucas Harari.
Lucas Harari : La reprise d’un personnage iconique, c’est hyper casse-gueule ! J’en parlais récemment avec Brüno, qui a hésité avant de travailler sur Lucky Luke. Donc, désolé, mais je ne suis pas sûr d’accepter ta proposition, Xavier ! En plus, je n’aime pas trop moderniser les vieilles séries. Je suis attaché aux époques qui caractérisent les personnages, avec les petits costards désuets qui vont bien, les jolies bagnoles, l’ambiance guerre froide…

Vous avez tenu à ce que ce soit Lucas qui illustre cette interview. Pourquoi ?
Xavier de Rosnay : C’est l’un des auteurs actuels qui nous intéressent le plus. Il excelle dans ce langage dessiné, cette façon de découper et de poser des ambiances, qui n’existait pas quand nous étions enfants. Lucas a certains codes franco-belges, mais qui savent tirer le lecteur vers une lecture contemplative, où on accepte de se laisser embarquer sans enjeux scénaristiques immédiatement clairs.
Gaspard Augé : Lucas a aussi un truc dans le choix des couleurs. Et il est rare de voir en France des couvertures d’une qualité aussi prononcée que celle de son album « Le cas David Zimmermann », par exemple.

Que lisez-vous comme BD aujourd’hui ?
Gaspard Augé : Beaucoup de choses, mais peu de BD jeunesse. Ce qu’on a lu, enfants, c’est une vraie madeleine. Nous avons donc des attentes de lecture démesurées, quand nous ouvrons une production actuelle ! Je m’intéresse tout de même à pas mal d’auteurs, comme Baptiste Virot, ou encore Ugo Bienvenu qui stylistiquement parlant a apporté un truc assez nouveau. Mais la vérité, c’est que j’achète principalement des vieux trucs !
Xavier de Rosnay : Des jeunes auteurs, comme Joseph Safieddine, font souvent des choses exceptionnelles. J’adore également Fabcaro, dont « Et si l’amour c’était aimer » ? m’avait fait pleurer de rire. Nous lisons aussi beaucoup de BD américaines, comme celles de Daniel Clowes ou Charles Burns.
Gaspard Augé : Nous sommes également très fans de Moebius et de tout ce qui tourne autour de Métal Hurlant. Mais notre autre pilier, c’est l’absurde tel que le pratique par exemple Pierre La Police, ou d’autres auteurs capables de créer leur style avec un dessin assez simple.
Lucas Harari : Xavier Bouyssou, qui publie chez 2024, pourrait vous plaire ! C’est pop, mélancolique et en même temps un peu acerbe sur les dérives probables du futur.

Xavier de Rosnay : Ah oui, je vois très bien cet album, avec sa couverture un peu irisée ! Les choses que j’arrive à lire sont souvent des BD au dessin très simplifié. Si une case est trop détaillée au mauvais moment, et qu’on y passe trop de temps, ça peut nuire à la fluidité de l’histoire. C’est pour cette raison que j’adore Druillet, mais que je n’arrive pas à lire ses BD, car je suis épuisé au bout de 10 minutes alors que je n’ai lu que quatre pages.
Gaspard Augé : On est aussi très attirés par des trucs autobiographiques, d’autofiction, où le dessin n’a quasi pas d’importance. S’il n’y a pas de texte, ça ne nous pose pas de problème non plus. Ce genre de lecture, c’est un plaisir d’esthète. On apprécie autant le « très bien dessiné » que le « très mal dessiné », pourvu qu’il y ait un vrai ton un peu revêche ! À noter que Pedro Winter, Xavier et moi avons été héros de BD grâce à Luz dans sa BD « King of Klub ».

Xavier de Rosnay : On adore également les albums artisanaux limite reliés à l’agrafeuse par l’auteur. Il y avait une galerie près de chez nous, P38, où on pouvait acheter des fanzines, des BD, presque en exemplaire unique, coloriées au crayon de couleur. J’adore ces auteurs dont on ignore s’ils sont des amateurs, ou des malins, qui maîtrisent tellement leur art qu’ils parviennent à se faire passer pour des débutants. Nous pouvons également passer des heures sur les pages de Fletcher Hanks (1887-1976), un auteur de comics ricain et alcoolique, dont la série de super-héros ratés n’a jamais été publiée, du moins avant que ses descendants ne la redécouvrent. C’était assez accompli techniquement, mais parfois Hanks reprenait des cases dans d’autres BD. Ou alors il palliait ses limites graphiques en dessinant un personnage toujours sous le même angle ou caché derrière un pistolet pointé vers le lecteur !
Vous mettez plusieurs années à composer un album. Comme en BD. Y a-t-il des convergences entre le langage BD et celui de la musique ?
Xavier de Rosnay : Dans certains de nos morceaux, nous prenons des libertés narratives, qui s’affranchissent de la structure. L’équivalent en BD pourrait donner une double page, où une case de la page de gauche déborderait sur celle de droite mais en gardant une continuité de lecture. Ce qui est très différent entre la BD et la musique, c’est qu’un disque reste une collection d’instantanés isolés les uns des autres. On essaye de faire en sorte que tout soit fluide du début à la fin, mais on sait que presque personne n’écoute un album de A à Z. Une BD, quand on la commence, si tout se passe bien, on la finit en une fois. Sauf s’il s’agit d’une BD « toilettes ».

Gaspard Augé : Le côté « instantanés » est particulièrement présent sur notre dernier album, Hyperdrama, où on passe de manière très abrupte à des formes différentes. On a un morceau disco, où tout est joué, puis on passe sans crier gare à du tout électronique. Transposé en BD, ça donnerait une alternance de cases de Franquin et de peintures à l’huile flamandes !
Xavier de Rosnay : Ce qui différencie également musique et BD, c’est l’attention qu’on accorde à cette dernière. Impossible de lire une BD en faisant autre chose. Ce n’est pas le cas de la musique. Ce qui me rend hésitant à l’achat d’une BD, c’est son poids. Je les soupèse afin de savoir si elles risquent de me tomber sur la tête au cas où je la lirais au lit. Lire de la BD, ça demande une implication aussi physique qu’intellectuelle.
Voyez-vous les albums de Justice comme une série ou plutôt une suite de one shot ?
Xavier de Rosnay : Plutôt des one shot. Gaspard et moi aimons faire un péplum à la Jacques Martin du futur, puis une BD abstraite et SF, puis un truc historique… C’est un peu notre ambition, quand on commence un album, de chercher toujours autre chose.
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